Tonton David - Interview From Libération Website (1995)

Tonton David, un rasta dans la ville.
Après le tabac de l'«Indien», le reggaeman consensuel récidive. Portrait avec CD.



La vie avait fermé sa porte au nez de Tonton David, sa tignasse d'un kilomètre et sa langue trop bien pendue. Il est entré par la fenêtre du petit écran avec un tube sorti tout droit de Marcus Garvey («nous sommes issus d'un peuple qui a beaucoup souffert...») et la complicité des enfants. Un premier album or, un deuxième presque platine ont mis le «vagabond» au quotidien des chaumières; Un indien dans la ville et sa chanson ont fait de lui la star des mômes, et c'est en famille qu'on l'écoute. Tonton David donnant le bon exemple! Il y en a qui doivent se marrer.
Mais les vieux copains savent que David n'a jamais été un méchant. S'il se vante parfois de ses délinquances, c'est par fidélité à lui-même. «Je n'arrive pas comme une caillera, la main sur les couilles, ouais c'est moi, je suis tombé pour ça et pour ça. Petit, j'ai jamais été le gros dur du coin, j'étais juste un petit mec qui essayait de faire tout pour avoir des thunes, un petit voleur. Avec mon pote, on allait sur les grands chemins... C'est pourquoi j'ai pas beaucoup d'amis d'enfance. Parce que, ma vie, c'est très tôt dans la cour, très tôt tout seul en fait. Des fois, je peux dire: J'habitais cette cité, mais j'habitais dans la cave.»
David Grammont, dit «Tonton», n'habite plus dans les cages d'escaliers ­ sauf lorsqu'une fille l'y jette. Récidiviste, sorti la semaine dernière, aurait démarré avec 80 000 précommandes, perspective réjouissante pour quelqu'un qui ne se cache pas de «faire de la musique à but lucratif».
Comment faire un disque «lucratif» lorsqu'on est, dit David, «un très mauvais musicien et un très mauvais chanteur?».
Réponse: «La seule chose avec laquelle je peux gagner, c'est une certaine simplicité. Une attitude face au texte, et peut-être des petits grains dans la voix, c'est tout. Je ne vais pas apprendre à chanter, parce ça ne serait plus Tonton David. C'est pour ça que je ne produis pas trop les voix. C'est bien, qu'elles soient naïves. Avant je droppais beaucoup (technique consistant à réenregistrer tel passage, à «rapiécer» une prise studio); maintenant, je fais deux, trois prises, et on choisit là-dedans. Comme ça, on garde le mouvement.»
Pour le premier album, David dormait dans le studio pendant que d'autres faisaient ses musiques: «Avec tous ces ordinateurs, j'avais l'impression que c'étaient des mathématiques.» Pour le deuxième, il avait annexé Tyrone Downie, clavier de Bob Marley, et son cerveau de mutant. Ils ont fait la musique ensemble, mais, cette fois, le son est trop «studio»: David n'a pas plaisir à le défendre sur scène. Au bout de 40 dates, il interrompt sa tournée 1994. «Si tu veux avoir le coeur qui bat quand tu es sur scène, il faut donner davantage à la musique, que la basse te parle. Et la batterie. Il faut faire parler le truc d'en bas. Par-dessus, c'est juste la performance vocale.»
Pressé de mettre ses conclusions à l'épreuve, David écrit des dizaines de chansons, se précipite sur sa boîte à rythmes, bidouille à la maison. «On a mis la batterie au salon, les guitares dans une chambre. Les basics étaient si bien que j'ai dit: On va pas rester sur DAT, on va mettre ça sur bandes professionnelles. Et quand on les a entendues en studio, on a dit: Purée, on va tout de suite mixer!»
Pas trop travaillés, narquois, les textes tournent comme toujours autour d'un «mouvement», une pique. «Quand je suis entré dans le reggae, j'ai côtoyé beaucoup de gens qui avaient de très bons raisonnements, mais souvent c'était pas lié à leur vie. Moi, j'ai voulu faire attention à ne pas raisonner autrement que dans la vie. Comme ça, je pourrais les défendre tout le temps. Là où je me prends la tête, c'est sur la cohésion du propos. Est-ce que ça vaut le coup de relever ce débat? Est-ce que l'atmosphère générale de la musique va avec ce débat?»
Lorsque, en 1986, la musique l'a «emmené, pris dans ses bras», David a décroché, il est devenu végétarien et veut réconforter les gens: «Chanter l'amour pour moi, c'est pas dire: Je t'aime, c'est apporter du réconfort à des gens de n'importe quelle race, quelle classe. Parce que c'est ça que ça m'a apporté à moi. Quand je suis tombé dans la musique, c'était un tel bonheur, je ne voulais que travailler. C'était un réconfort, une façon d'être un peu... droit. Le reggae, c'est ça. Savoir qui on est.»
Justement, Tonton David, rap? «Lorsque j'ai entendu ça, je me suis aperçu que je n'aimais pas le rap. Moi, je suis dans le reggae. Je rends hommage à ce qui reste magique à la Jamaïque, cette façon de faire tourner les grooves sur deux mesures. L'histoire, c'est d'avoir cette flaveur jamaïcaine, de faire les maquettes à la Jamaïque, mais pas le disque. J'enregistrerai plus jamais là-bas.»
Des titres comme Tous ensemble, Jeunes Filles ou Tout se paye un jour, ont ce parfum classique; tandis que Rebelle, Vagabond ou Au galop renvoient au dance-hall avec leurs basses joufflues. Le Soleil brille pour tout le monde pareil fera le premier clip, avec ses choristes qui ont apporté «une attitude vraie dans la voix».
Le tube, ce pourrait être Jeunes Filles, signé Studio One, de cette époque fin de ska où les «shuffles» rapides perçaient déjà sous la sensualité reggae; ou bien Fugitif, le frais et savoureux duo avec Cheb Mami, une réponse au Running away de Marley. Cela dit, la musique reste bien parisienne, ainsi que le groupe ­ Tyrone Downie a fait des claviers sulfureux sur Récidiviste mais ne sera pas de la tournée. David a bien compris le problème de ce Jamaïcain qui «s'est retrouvé clavier de Bob Marley à quinze ans et a plongé trop tôt dans la grande vie».
Mais pour la même raison qu'il refuse de militer pour la légalisation de l'herbe («ces choses-là sont trop dangereuses, avec l'amalgame que l'on fait à la télé entre le joint et la poudre...»), il décide de s'éloigner de Tyrone, le turbulent génie. «Je suis qu'un petit jeune de 28 ans, mine de rien, j'essaye d'être loin de la coke, j'ai pas envie d'avoir des minettes de quinze ou seize ans qui gravitent autour du groupe. En Jamaïque, j'ai vu ce qui prenait l'énergie des musiciens et à cause de quoi ça partait en sucette...»
Pour David, le monde ne risque plus de «partir en sucette». Il mène rondement ses affaires, «surveille son nessbi», songeant déjà au disque de Dixie, aux jeunes qu'il va produire, à la maison qu'il veut acheter à la Réunion, à la famille du Chaudron, aux innombrables cousins, «toujours dans l'urgence». Dans trois ou quatre albums, il arrêtera d'enregistrer, «pour pas faire chier», et produira les talents qu'il n'a pas: de grands chanteurs, du reggae en anglais. «Le monde est à nous pourvu que nous en voulions.».

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